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PAIN
Le Moi Social : grand oublié des consultations douleur ?
Les auteurs émérites de ce « Topical Review » proposent une réflexion étayée par la littérature sur la composante sociale de la douleur, dans les interactions qu’elle entretient avec les autres composantes de l’expérience douloureuse : sensorielles, émotionnelles et cognitives.
Ils identifient trois besoins fondamentaux pouvant être mis en danger par la douleur : le besoin d’autonomie, le besoin d’appartenance et le besoin de justice.
Quand le premier besoin est menacé, cela peut se manifester par des épisodes dépressifs caractérisés par des sentiments d’impuissance, de honte et des pensées de culpabilité à l’égard d’autrui, signant la perception d’une perte de contrôle face à la douleur, en particulier quand elle devient chronique. Ces épisodes seraient positivement corrélés à une augmentation de l’intensité douloureuse (ID). Une histoire traumatique impliquant autrui (harcèlement, torture, abus) augmenterait le risque de chronicisation douloureuse. Une douleur intentionnellement infligée par autrui serait perçue plus intensément qu’une douleur accidentelle et serait associée à une réduction de la communication autour de la douleur.
Le besoin d’appartenance est transculturel et peut être mis à mal quand la douleur retentit sur l’activité professionnelle et les loisirs. Des discriminations sociales liées à l’état douloureux et/ou des expériences d’invalidation de l’expérience douloureuse ont été identifiées. Ces dernières seraient particulièrement fréquentes lorsqu’un diagnostic médical ne peut être confirmé. Les patients douloureux peuvent être victimes de différentes normes sociétales : la bonne santé, l’autonomie, un fonctionnement optimum jusqu’au grand âge ainsi que des croyances concernant l’inexistence des douleurs chroniques. Elles peuvent conduire à l’isolement social, favorisé en partie par l’absence de diagnostic médical. Certains patients douloureux chroniques peuvent internaliser ces normes en s’auto discriminant. Des associations positives ont été retrouvées entre l’atteinte de ce besoin et : le stress, l’hypo activation du système immunitaire et la mortalité. La solitude entretiendrait les mêmes relations avec la faible tolérance à la douleur et l’incapacité perçue future. Concernant l’ID, les résultats se montrent plus contrastés. Le besoin de justice concerne une représentation où chacun doit obtenir ce qu’il désire dans un monde fondamentalement équitable, contrôlable et prévisible. Son atteinte peut conduire à une colère importante, des ruminations concernant les personnes perçues comme responsables de l’état douloureux et les pertes qui y sont associées, jugées souvent comme irréparables.
Le sentiment d’injustice perçue entretient des liens étroits (cercle vicieux) avec l’atteinte des autres besoins fondamentaux en favorisant, notamment, des conduites de réparation, parfois transgressives et/ou agressives pouvant coexister avec le repli social. Des relations positives ont été mises en évidence avec : les arrêts de travail prolongés, le catastrophisme, l’état de stress post-traumatique, les conduites d’évitement face à la douleur, l’ID, la faible tolérance à la douleur, l’incapacité perçue et la mauvaise compliance thérapeutique. Les auteurs recommandent aux praticiens une évaluation plus systématique de ces trois besoins fondamentaux et des motivations interpersonnelles associées aux contextes sociaux concernés, à l’aide des outils d’évaluation actuellement disponibles.
Une meilleure satisfaction de ces besoins, en collaboration avec les réseaux sociaux des patients, devrait être incluse dans les projets thérapeutiques personnalisés. Enfin, des recherches sont attendues sur les relations unissant les attentes thérapeutiques portées sur la douleur à celles orientées vers les différents contextes sociaux mais également sur l’exposition des patients douloureux aux normes culturelles et sociétales, en particulier celles inhérentes à leur système de soin.
Reference
Karos K, Williams AC. de C., Meulders A, Vlaeyen JWS.
Pain as a threat to the social self: a motivational account. Pain 2018;159:1690-1695.